FAIRE DE LA SOUFFRANCE LA CROIX DE NOTRE SALUT

par
Père Théophile de Sâmbăta 
(Amintire eternă!)
Starets du monastère de la Dormition de la Mère de Dieu, à Sâmbata, près de Sibiu, en Transylvanie, le père Théophile fut l’un des témoins de l’Évangile les plus écoutés en Roumanie notamment parmi les jeunes. Il était aveugle de naissance.


“Nous sommes toujours tentés de dire que, parce que nous souffrons beaucoup, nous avons le droit de nous révolter, nous avons le droit de ne pas croire en Dieu, nous avons le droit de nous battre, et de tout reprocher à l’autre, les enfants à leurs parents, le mari à sa femme, etc., et finalement de reprocher à Dieu l’existence de cette souffrance. Alors on s’entretue, physiquement et spirituellement, et ainsi la souffrance se multiplie comme une semence maléfique que pourtant nous maudissons”. 
Mgr Joseph, 
Archevêque du patriarcat de Roumanie en Europe occidentale


Extraits de l'enregistrement d’une rencontre organisée à Paris avec des jeunes de la région parisienne:

"Je suis ici parce que Dieu l’a bien voulu. Je crois ce que dit l’Évangile de notre Seigneur Jésus que chaque cheveu de notre tête est compté. Quand j’ai lu pour la première fois la Philocalie, j’ai lu dans les écrits de saint Marc l’Ascète que quand Dieu désire qu’une chose se réalise, toute la création aide à ce qu’elle se réalise, et quand Dieu ne le désire pas, tout se met en travers et s’y oppose. J’ai passé toute ma vie, depuis ma jeunesse et jusqu’à la vieillesse, avec la pensée qu’il n’y a pas de petites choses. J’ai toujours senti le travail de Dieu en tout, même dans les choses les plus insignifiantes, me souvenant de la parole du Seigneur: “Tous les cheveux de votre tête sont comptés”, et des écrits de saint Marc l’Ascète: "Quand Dieu désire qu’une chose se réalise, toute la création intervient pour qu’elle se réalise"

La souffrance, une réalité, un problème et un mystère

Comment recevoir la souffrance pour qu’elle nous soit profitable ? Ceux qui m’ont invité ont probablement pensé que j’étais compétent sur cette question, mais en y réfléchissant moi-même, je suis «arrivé à la conclusion inverse. Je vais néanmoins faire de mon mieux pour vous présenter mes idées personnelles sur la souffrance. En vous en parlant, je penserai non seulement aux souffrances physiques, à la douleur, mais aussi aux souffrances morales, aux souffrances sociales, aux catastrophes naturelles, bref, à tout ce que nous ne voudrions pas voir advenir.
Depuis ma jeunesse, je me demande à quoi sert la souffrance. Je n’ai pas encore trouvé de réponse satisfaisante. Je suis arrivé au constat que, pour tout le monde, pour ceux qui souffrent et pour ceux qui ne souffrent pas, la souffrance est à la fois une réalité, un problème, et un mystère. C’est une réalité que nous ne pouvons éviter. C’est un problème que personne encore n’a résolu. Il nous reste le mystère. En fait, l’important n’est pas ce que nous croyons sur la souffrance, où ce que nous en pensons, mais quel est le rapport que nous avons personnellement avec notre propre souffrance. Que pouvons nous faire pour ne pas souffrir?
L’Église ne désire pas que les hommes souffrent. Lors des liturgies, nous prions pour que nous soient accordées “une fin chrétienne, sans douleur, sans honte, paisible, et une bonne justification devant le trône redoutable du Christ”. Par ceci, l’Église demande que les croyants passent leur vie dans la sérénité et que, autant qu’il est possible, ils ne souffrent pas. Nous prions aussi dans la liturgie pour les responsables de notre Église, pour notre évêque, pour “que Dieu le protège, le garde en paix, dans l’intégrité, en bonne santé et en vie pendant de longs jours”. Après avoir demandé cela pour les responsables de notre Église, nous le demandons aussi pour nous tous, puisque nous ajoutons : “Et pour tous et pour toutes “.

L’Église désire donc que les hommes vivent en paix, qu’ils soient en bonne santé, qu’ils soient intègres et qu’ils aient une longue vie. Elle n’apporte aucune raison de glorifier la souffrance, mais elle nous donne des raisons d’accepter la souffrance quand nous la rencontrons, d’accepter notre part de souffrance, et de l’utiliser pour notre bien. Alors, ne désirons pas la souffrance, mais acceptons-la si elle nous vient.

“Si nous devons souffrir, alors ne souffrons pas en vain”

Il n’est pas nécessaire que tous les hommes aient leur lot de souffrance. Certains sont épargnés, d’autres peuvent facilement supporter une grande souffrance, et pour d’autres encore la souffrance est une torture. Je pense dans ce cas, plus particulièrement, à la souffrance physique. Je connais des personnes qui supportent une souffrance très dure, qui ne peuvent pas bouger de leur lit, et qui pourtant rayonnent d’une joie spirituelle que n’ont pas les bien-portants. Je connais des hommes révoltés face à la souffrance, et d’autres qui n’y prêtent aucune attention. Dans chacune de ces situations, nous devons considérer l’intensité de la souffrance car il existe des douleurs qui détruisent l’homme, qui le rendent incapable de penser à autre chose qu’à sa souffrance.

Je m’arrêterai sur les personnes dont on pense qu’elles souffrent alors qu’en fait elles ne souffrent pas parce qu’elles savent comment porter leur souffrance. Un médecin roumain, qui croyait en Dieu, disait qu’il y a deux choses qu’un homme ne peut faire sans la foi : élever de bons enfants et supporter une grande souffrance. Je crois aussi que les personnes qui ont une croix à porter et qui ont aussi la capacité de la porter facilement sont, en particulier, des personnes qui croient en Dieu. Elles reçoivent leur lot de souffrance comme s’il venait de la main de Dieu, parce que les croyants savent que rien ne se passe sans que Dieu ne le permette J’évoquais plus haut saint Marc l’Ascète en disant que l’important n’est pas de savoir pourquoi ni d’où vient la souffrance, mais comment nous nous comportons dans ou face à la souffrance. C’est en ce sens que le père Arsène, un moine de notre monastère, disait : “Si nous devons souffrir, alors ne souffrons pas en vain”. Pour pouvoir utiliser sa souffrance pour le bien, l’homme doit croire que sa souffrance a un sens pour lui, même s’il n’en comprend pas le but. En fait, quelqu’un qui a cet état d’esprit, et qui sait comment supporter sa souffrance ou sa douleur, ne souffre presque plus.
En d’autres termes, je dirais que la souffrance est une réalité que nous avons le droit d’éviter si nous le pouvons, elle est un problème que nous avons le droit de résoudre si nous le pouvons, mais nous devons nous incliner face au mystère et utiliser la souffrance qui nous est donnée, pour notre progrès spirituel.

Aider les autres en faisant ce qui est à notre portée

Si nous ne pouvons pas comprendre notre propre souffrance, nous ne pouvons pas non plus comprendre la souffrance des autres. Nous pouvons cependant intervenir pour leur bien, pour leur faciliter la vie, pour les aider à porter leur souffrance. C’est même notre devoir, car Dieu nous appelle à être ses collaborateurs pour aider notre prochain, c’est-à-dire l’autre, et II nous bénit si nous allégeons la souffrance des hommes. Or sans avoir de pouvoir de guérison, nous avons le pouvoir d’aider les autres en faisant ce qui est à notre portée. Pensons aux quatre hommes qui ont amené au Seigneur le paralytique de Capharnaüm. Ils auraient pu attendre de rencontrer le Christ, mais ils ont senti le besoin d’amener leur ami le plus vite possible devant le Seigneur afin qu’il le guérisse. Ils se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient pas guérir leur ami, mais ils ont su que le Christ le pouvait. Ils ont fait leur part de travail, et le Seigneur les a exaucés.
Le Seigneur cependant ne guérit pas toujours. Il laisse certains souffrir et vivre leur douleur avec sérénité, pour eux-mêmes et pour le bien des autres. J’ai souvent constaté que les gens qui souffrent, ou qui ont vécu de grandes souffrances, sont des gens solides. Ils ont un autre regard sur la vie et ils ont gagné des qualités que des hommes plus épargnés n’ont pu acquérir. Ceci signifie que, si la souffrance nous est donnée, nous pouvons la recevoir en pensant que nous nous enrichissons. Certains hommes ressentent la souffrance comme une injustice, comme quelque chose qui ne devrait pas leur arriver, à eux personnellement. Mais cela revient à comparer sa vie à celle des autres et je crois que cela n’a aucun sens, car chaque homme vit la vie qui lui est donnée. Chacun a son propre rapport avec la souffrance, chacun peut en recevoir un bien. Je crois que ce qui nous aide le plus c’est la foi en Dieu, la conscience que Dieu permet cette souffrance et qu’elle a sa raison d’être. Une telle conscience, ou plutôt une telle confiance, est d’une très grande valeur pour tous les chrétiens. Elle leur donne de porter leur croix avec dignité.

“Sans la croix, il n’y a pas de salut”

Je disais au début de mon intervention ne pas savoir si j’étais compétent au sujet de la souffrance et de son acceptation. Peut-être certains ont-ils pensé que j’ai beaucoup souffert d’être né aveugle. Ce n’est pas exactement le cas. Il se peut que quelqu’un qui a connu l’indépendance, ou quelqu’un dont la vie a été basée sur sa capacité de voir, en souffre. Quelqu’un qui a été méprisé, rejeté, ou abandonné à cause de son infirmité en souffre aussi. Mais moi, je suis entré dans la vie consciente sans la vue, et j’ai appris des autres, qui m’entouraient et m’aidaient, que je n’étais pas comme eux. Parfois, je ne me rendais même pas compte que je n’étais pas comme eux. Des personnes autour de moi avaient souvent pitié de moi, mais je ne voyais pas pourquoi. J’ai vécu avec les autres comme je le pouvais, et je me suis orienté dans la vie selon les possibilités que j’avais. Cela s’est passé très naturellement. Bien sûr, il y a eu des problèmes dans des situations particulières, et il y en aura encore, mais dans la vie il y a toujours des problèmes ! Tant qu’il y aura des hommes de bonne volonté qui verront aussi pour moi, alors ma souffrance sera soit inexistante, soit minimisée. Je peux même dire que je ne souffre pas du tout, en tous cas pas pour cette cause-là. C’est pourquoi, je n’ai peut-être pas une connaissance suffisante pour répondre à vos questions.
Mais je peux vous assurer que la foi en Dieu est une grande aide pour supporter une grande souffrance. Rappelons encore que, si nous n’avons pas de souffrance, alors n’en désirons pas, parce que ni l’Église ni les hommes n’en désirent pour nous. Éviter la souffrance quand la situation le permet, oui, mais s’il s’agit d’éviter la croix de notre salut, non. Dieu ne bénit pas une telle attitude. Car Dieu demande à chaque chrétien de porter sa croix, la croix du dépassement de nous-mêmes, la croix des efforts que nous devons faire pour être meilleurs. Sans la croix, il n’y a pas de salut, et le salut ne nous vient pas seulement par la Croix du Seigneur, mais aussi par le fait que nous portons notre propre croix. Quand nous devons traverser une épreuve, une maladie, une douleur, un chagrin, nous rencontrons la croix que nous devons porter, et elle devient véritablement la croix de notre salut si nous nous dépassons nous-mêmes en la portant.

“Demandons à Dieu d’accepter la souffrance quand elle nous vient”

Je voudrais vous laisser quelque chose qui resterait après mon départ : soyons convaincus que la croix est nécessaire pour notre salut. Demandons à Dieu la santé et tout ce qui est bon. Mais demandons aussi à Dieu d’accepter la souffrance quand elle nous vient. Demandons lui que notre foi grandisse, afin de pouvoir faire face à toutes les situations qui apparaissent dans notre vie, afin que nous portions facilement ce que nous avons à porter, et afin que nous ne souffrions pas pour rien. Demandons à Dieu une foi qui nous aide à porter même une souffrance très lourde. Saint Isaac le Syrien disait : “Cherche un médecin avant d’être malade et prie avant la tentation”.
Préparons-nous à souffrir, qu’il s’agisse de souffrance physique ou de souffrance morale. Pour supporter facilement la souffrance morale, et pour que nous puissions en tirer du bien, préparons-nous à nous humilier. Ne nous troublons pas en réalisant que la souffrance est une réalité que bien souvent nous ne pouvons éviter, que la souffrance est un problème que nous ne pouvons résoudre, et qu’elle est un mystère qui peut être pour notre bien, pour notre progrès spirituel, pour nous unir à la Croix du Seigneur. Elle est un mystère pour nous unir à la souffrance du Seigneur qui a pitié de nous et qui nous sauve, parce qu’il aime les hommes. Un mystère pour nous unir à la souffrance du Seigneur qui nous aime même quand II nous donne la souffrance, et qui essuie toutes les larmes de tous les visages quand il sait que nous souffrons pour notre bien. […]"

Commentaires

Laurence Guillon a dit…
C'est je crois le meilleur texte que j'qi lu sur ce sujet difficile
Unknown a dit…
Oui c'est vrai j ai rarement lu un texte aussi intéressant et équilibré, tres fin et juste, sur ce thème difficile qu'est la souffrance