Si l’on a raison d’un point de vue juridique, rien de plus n’est requis ?

Extrait d'un discours donné en 1978 par Alexandre Soljenitsyne aux diplômés de Harvard après avoir vécu en Occident pendant quatre ans, dont trois aux États-Unis.




[…] La société occidentale s’est dotée de l’organisation la mieux adaptée à ses objectifs, fondée, je dirais, sur la lettre de la loi. Les limites des droits de l’homme et de la justice sont déterminées par un système de lois ; ces limites sont très larges. Les Occidentaux ont acquis une grande compétence dans l’interprétation et la manipulation du droit. Tout conflit est résolu conformément à la lettre de la loi et est considérée comme la solution suprême. Si l’on a raison d’un point de vue juridique, rien de plus n’est requis. Personne n’osera mentionner qu’on ne peut pas toujours être entièrement géré par le droit, et appeler urgemment à la retenue, à la volonté de renoncer à de tels droits légaux, au sacrifice et au risque désintéressé. Cela semblerait simplement absurde. On ne voit presque jamais de retenue volontaire. Tout le monde fonctionne à l’extrême limite de ces cadres légaux.

J’ai passé toute ma vie sous un régime communiste et je vous dirai qu’une société sans échelle juridique objective est vraiment terrible. Mais une société sans autre échelle que la société légale n’est pas tout à fait digne de l’homme non plus. Une société qui repose sur la lettre de la loi, et n’atteint jamais le niveau le plus élevé, profite très peu des immenses possibilités humaines. La lettre de la loi est trop froide et formelle pour avoir une influence bénéfique sur la société. Chaque fois que le tissu de la vie est tissé de relations légalistes, il règne une atmosphère de médiocrité morale, paralysant les pulsions les plus nobles de l’homme. Et il sera tout simplement impossible de résister aux procès de ce siècle menaçant avec le seul soutien d’une structure légaliste. […]

Alexandre Soljenitsyne

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