« Par la mort Il a vaincu la mort » par Christos YANNARAS

"De plus en plus la vie chrétienne semble se limiter à une « manière de se comporter », à un code de bonne conduite. De plus en plus le christianisme s'aliène en prenant un caractère social adapté aux mesures des exigences humaines les moins dignes, aux mesures du conformisme, de la conservation stérile, de l'étroitesse du cœur et de l'absence d'audace, aux mesures du moralisme insignifiant qui cherche à embellir la lâcheté et la sécurité individuelle en les couvrant de la parure mortelle des convenances sociales. Les hommes qui ont réellement soif de vie, qui sont chaque jour sur la corde raide à la frontière de toutes les morts possibles, qui luttent désespérément pour distinguer quelque lumière dans le mystère hermétique de l'existence humaine, c'est-à-dire les hommes auxquels fondamentalement et par excellence s'adresse l’Évangile du salut, tous ces hommes, inéluctablement, demeurent loin de l'ordre rationnellement organisé, conventionnel, social, de la chrétienté établie.

Dans un tel climat aujourd'hui, pour un grand nombre d'hommes, de chrétiens, l'ascèse - fût-ce comme notion, ou comme mot - est pour ainsi dire incompréhensible. Si l'on parle du jeûne, de tempérance, de limitation volontaire des désirs individuels, il est sûr qu'on recevra en retour condescendance ou ironie. Ceci bien sûr n'empêche pas les hommes d'avoir leurs «convictions métaphysiques », de croire à quelque « être suprême» ou au « doux Jésus» qui a enseigné une Ethique admirable.

Mais la question est de savoir à quoi servent les « convictions métaphysiques» si elles ne donnent pas une réponse réelle (non pas idéaliste et abstraite) au problème de la mort, au scandale de la dissolution du corps dans la terre. Cette réponse ne se trouve que dans la connaissance que donne l'ascèse, l'étude de l'opposition de la mort dans notre corps même, le dépassement dynamique du dépérissement de l'homme. Et non pas n'importe quelle ascèse. Mais celle qui nous rend conformes à l'exemple du Christ, lequel a volontairement accepté la mort pour la détruire : « Par la mort Il a vaincu la mort ». Tout dépérissement volontaire de l'égocentricité «contre nature» est en puissance une abolition de la mort et un triomphe de la vie de la personne. Pour que l'homme parvienne enfin à remettre en toute confiance son corps - qui est l'ultime retranchement de la mort - dans les mains de Dieu, dans les bras de la « terre du Seigneur », dans l'accomplissement de la communion des saints."
Christos Yannaras 
extrait "La liberté de la morale" (Labor et Fides - Perspective orthodoxe)

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