INDIVIDU et PERSONNE par Geronda Placide DESEILLE
"Les êtres non-raisonnables – les animaux, les plantes, les minéraux – n'existent dans la réalité que sous la forme d'individus d'une espèce donnée. L'individu se différencie des autres par ce qu'il est seul à posséder, notamment par la parcelle de matière dont est formé son corps, et par les traits distinctifs qui le constituent dans sa singularité. La matière non-transfigurée par les énergies divines est principe d'individuation, et l'individualité engendre l'incommunicabilité. L'individu ne peut exister comme tel, ne peut s'affirmer, qu'en se différenciant des autres, et finalement en s'opposant à eux pour défendre ce qu'il s'est approprié.
Mais l'homme créé à l'image de Dieu et participant à la nature spirituelle n'est pas simplement un individu. Il est aussi une personne. La personne se différencie des autres personnes non en s'appropriant quelque chose que les autres ne possèderaient pas, non en se caractérisant par des particularités exprimables, mais en étant un sujet irréductible à tout autre, qui ne se différencie des autres qu'en possédant selon sa manière propre (tropos) ce que tous sont, ce que tous possèdent. La personne est communion.
Ce n'est qu'au sein de la Trinité Sainte que la réalité de la personne s'accomplit pleinement. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne se différencient pas par ce qu'ils sont : ils ont la même et unique nature divine, ils sont «consubstantiels». ils sont un seul Dieu. Mais ils se différencient par «qui ils sont» : le Père. le Fils et le Saint-Esprit possèdent chacun selon leur mode propre (tropos) ce qu'ils sont dans l'unité.
Certes, les hommes ne peuvent être «consubstantiels» au sens propre. Ils n'ont pas une essence numériquement une, comme les Personnes divines. Mais en chacun d'eux, la nature humaine se réalise concrêtement en étant «hypostasiée», assumée par une personne humaine distincte. Cette personne humaine ne se différencie pas des autres par ce qu'elle est, par ce qu'elle possède, mais seulement en étant tel sujet personnel, possédant selon son mode propre ce qui est commun à tous.
En raison de la condition actuelle, «animale», de leur corps, les hommes sont aussi des individus. Mais ressuscités et transfigurés, ils ne seront plus que des personnes. L'enjeu de la vie spirituelle est d'échapper de plus en plus, dès ici-bas, aux limitations de l'individualité, pour accéder à une condition vraiment personnelle. En se détachant des biens sensibles, en renonçant à sa volonté propre, en faisant régner dans son cœur la divine charité, avec le concours de la grâce divine, l'homme cesse de s'opposer aux autres par ce qu'il veut être et par ce qu'il veut avoir; il cesse aussi de se conformer aux autres d'une façon purement extérieure et destructrice de la personnalité, par crainte ou par intérêt, et, librement et spontanément, il devient de plus en plus ce que tous sont, ce qu'il possède n'est plus que ce qui est commun à tous, sans qu'il perde sa consistance personnelle, à l'image des Personnes de la Trinité Sainte."
in
À
l'image et à la ressemblance de Dieu(ed. du Monastère SaintAntoine Le Grand
26190 Saint-Laurent-en-Royan)
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