Déclaration du métropolite Nikiphoros de Kykkos et Tillyria sur le schisme ukrainien

Voici une traduction en français du texte intégral de la note sur la situation dans la vie de l'église en Ukraine rédigé par le métropolite Nikiphoros de Kykkos et Tillyria pour le Synode de l'Église orthodoxe de Chypre 


Photo: alphanews.live

Votre Béatitude, 
Saints Frères:

En ce qui concerne le problème qui a surgi en raison de la nécessité de l’autocéphalie ou non de l'Église orthodoxe d'Ukraine, avec humilité et modestie, je voudrais souligner les points suivants:

Dès le tout début que la question de l'autocéphalie de l'Église ukrainienne s’est posée, j’ai été ouvertement un partisan de cette autocéphalie. Dans divers entretiens sur ce sujet avec diverses personnes, ecclésiastiques et non- ecclésiastiques, j’ai soutenu le point de vue que de nos jours l’usage a été établi en fait que chaque pays orthodoxe et politiquement indépendant devrait avoir une Église autocéphale qui lui est  propre.

J’étais persuadé que l'autocéphalie désirée de l'Église ukrainienne orthodoxe ne serait pas accordée à la hâte et de façon désinvolte, mais par étapes et de façon très soigneuse, conformément à la tradition orthodoxe, aux canons sacrés, et comme en général  en appliquant les règles des saints canons de notre Très Sainte Église orthodoxe.

Il est regrettable que, dans le processus de déclaration et de reconnaissance de l’autocéphalie de l'Église ukrainienne orthodoxe, ce qui a prévalu au lieu des procédures orthodoxes synodales démocratiques, ce sont des modes de penser et des attitudes non démocratiques et non conciliaires – et  je dois le constater avec regret – plutôt  arbitraires et imposés de force.

Alors que Sa toute-Sainteté le Patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople avait reconnu et confirmé le dépôt et l'excommunication imposée il y a vingt ans par le Patriarcat orthodoxe de Moscou, du métropolite Philarète et de ses partisans qui se sont séparés de l'Église orthodoxe russe et, plus largement, du corps de l’Église une, Sainte, catholique et apostolique, il y a trois ans, en 2016, comme Sa Béatitude le Patriarche Cyrille de Moscou l’a souligné dans son interview publique, au cours de la Synaxe des primats des Églises orthodoxes, le patriarche de Constantinople a promis à sa Béatitude le Patriarche de Moscou lui-même qu'il n'accorderait pas unilatéralement le statut d'Église autocéphale à l'Église orthodoxe ukrainienne, en particulier, aux schismatiques, il l'a tout de même fait sans aucun motif que ce soit, en déclarant autocéphale la sus-dite Église. De plus, ce qui est le plus triste, il l’a fait de son propre chef vingt ans plus tard, en opposition à son précédent agrément écrit concernant les interdictions imposées aux pécheurs. Il a réhabilité ceux qui avaient été condamnés, ce faisant il s’est parjuré en réhabilitant ceux qui avaient été déposés et excommuniés par l'Église orthodoxe russe.


À mon humble avis, cette action apparaît comme non canonique puisque, selon les saints canons, toute interdiction – en l’occurrence le dépôt et l'excommunication de ces personnes – ne peut être levée que par l'organisme qui l’a imposée, et à la condition de la certitude d’un réel repentir préliminaire des condamnés. A cet égard, le Patriarcat orthodoxe de Moscou seul, comme c’est lui qui avait exercé le dépôt et prononcé l'excommunication, avait les pouvoirs conformes aux canons  pour réhabiliter les pécheurs et les ramener au bercail de l'Église orthodoxe.

À mon humble avis, il y a aussi une autre erreur, plus grave, qu’a commise le Patriarche Œcuménique en ignorant dédaigneusement Mgr Onuphre (locum tenens du siège métropolitain de Kiev, métropolite de Tchernovtsy et de Bucovine), métropolite de la seule Église orthodoxe de l'Ukraine communément reconnue, et en reconnaissant en revanche à sa place comme métropolite de Kiev et de toute l'Ukraine, Serhy Petrovytch Doumenko, auto-ordonné Épiphane, qui n'a pas reçu d'ordination canonique, et ceci en lui  accordant le Tomos synodal  d'autocéphalie au cours d'une concélébration avec lui.

Votre Béatitude et mes saints frères, en conclusion, je dois malheureusement souligner que l'octroi du statut d'Église autocéphale à la communauté schismatique de Philarète et d’Épiphane n'a pas seulement échoué à guérir le schisme existant dans l'Église orthodoxe d'Ukraine, mais, au contraire, l’a dangereusement approfondi et aggravé  depuis aujourd'hui, après que ce Tomos synodal d’autocéphalie a été accordé. Nous sommes en présence en Ukraine d’un phénomène tragique car il y a [en un même lieu, en même temps] une Église orthodoxe canonique dirigée par le métropolite Onuphre et il y a une communauté schismatique dirigée par Philarète et Épiphane qui ont été déposés. Malheureusement, il y a un danger évident que la confrontation militaire, qui dure depuis trois ans, puisse dégénérer en une confrontation religieuse. Et il y a un danger encore plus grand que le schisme de l'Église ukrainienne non soigné, comme beaucoup l'ont souligné, puisse pénétrer dans le corps de l'ensemble de l'Orthodoxie universelle avec des conséquences tragiques pour elle.

Sur la base de ce qui précède, je suis arrivé à la conviction que nous, Saint-Synode de l'Église de Chypre, ne pouvons pas reconnaître le schismatique Épiphane, qui n'a pas l'ordination canonique, en tant que métropolite canonique de Kiev et de toute l'Ukraine. D'autant plus que du point de vue des canons, nous ne sommes pas autorisés à avoir de communion eucharistique avec des schismatiques, en particulier, les auto-ordonnés.

Par conséquent, ma proposition est la suivante:

1) Notre Saint-Synode devrait s’abstenir de prendre position en faveur de l'un ou l'autre Patriarcat, ni du Patriarcat de Constantinople, ni celui de Moscou. Et Notre Saint-Synode devrait faire en sorte de ne pas  réduire à néant les efforts possibles de médiation de l'Église de Chypre pour trouver une solution canonique.

De plus, je crains au plus haut point (et c'est la pire des choses) que les Églises orthodoxes slavophones prennent parti pour le Patriarcat orthodoxe de Moscou, tandis que les hellénophones s’identifieraient avec le Patriarcat œcuménique parce que si c'était le cas cas, le schisme désastreux, à la plus grande satisfaction des ennemis de l'Orthodoxie universelle, serait un boulet à traîner pendant longtemps.

2) Notre Saint-Synode devrait accepter la proposition exprimée dans ses déclarations par Sa Béatitude le Patriarche Jean d'Antioche sur la convocation rapide d'un concile panorthodoxe. Et nous disons que si cela est difficile, voire tout à fait impossible, alors nous devrions organiser une Synaxe des Primats des Églises orthodoxes pour discuter de la situation en Ukraine et trouver une solution de ce problème dans son ensemble, conforme aux canons sacrés et à la tradition de l'Église orthodoxe.

3) Je suis convaincu que l'Église orthodoxe de Chypre, qui fait remonter son autocéphalie au Troisième Concile œcuménique d'Éphèse, peut jouer un rôle primordial de réconciliation en actualisant les propositions mentionnées ci-dessus et la solution du problème dans son ensemble.

Votre Béatitude et saints frères, nous prions pour que la grâce de l'Esprit Saint puisse  se répandre sur nous et qu’Il rassemble un concile d'église pour que nous, évêques de l'Église orthodoxe, puissions agir avec humilité, justice et sagesse, pour la gloire éternelle de son fondateur - notre Seigneur Jésus-Christ. 

(Version française par Maxime le minime de la source)

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