"DU PASSÉ FAISONS TABLE RASE" ?
Voici en parallèle les témoignages de deux Français particulièrement sensibles à ces pays d'Europe qu'on appelait naguère "Pays de l'Est", pays pour lesquels non seulement ils ont du respect, mais dont ils goûtent et apprécient au plus haut point ce qui tend à faire défaut à nos pays occidentaux : l'amour et la perpétuation de leur patrimoine naturel et populaire.
Jean Ferrat qui eut son heure de gloire en URSS de par ses sympathies communistes avait pourtant chanté dans sa chanson "La montagne" cette nostalgie de la vie rurale antique…
Ils quittent un à un le pays
Pour s'en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné
Les vieux, ça n'était pas original
Quand ils s'essuyaient machinal
D'un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau
Et manger la tomme de chèvre
refrain:
Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s'imaginer
En voyant un vol d'hirondelles
Que l'automne vient d'arriver?
Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu'au sommet de la colline
Qu'importent les jours, les années
Ils avaient tous l'âme bien née
Noueuse comme un pied de vigne
Les vignes, elles courent dans la forêt
Le vin ne sera plus tiré
C'était une horrible piquette
Mais il faisait des centenaires
A ne plus savoir qu'en faire
S'il ne vous tournait pas la tête
Deux chèvres et puis quelques moutons
Une année bonne et l'autre non
Et sans vacances et sans sorties
Les filles veulent aller au bal
Il n'y a rien de plus normal
Que de vouloir vivre sa vie
Leur vie, ils seront flics ou fonctionnaires
De quoi attendre sans s'en faire
Que l'heure de la retraite sonne
Il faut savoir ce que l'on aime
Et rentrer dans son H.L.M.
Manger du poulet aux hormones
Mais nous n'en sommes même plus là…
"Du passé faisons table rase" chantaient les communistes — on sait maintenant qu'ils n'y sont pas parfaitement parvenus malgré leur acharnement haineux de la Terre et du Ciel. Même s'ils ont tout fait d'une part pour déraciner le peuple de sa terre, de ses traditions et de sa culture propre en le réduisant à une condition prolétarienne internationale (tout en prétendant l'en délivrer par la Révolution et la dictature du prolétariat — qui comme on le sait s'est transformée en dictature sur le prolétariat) et même s'ils ont tout fait d'autre part pour couper le peuple du Ciel par leur propagande constante et en persécutant et détruisant le plus possible ce qui était chrétien.
Et voilà que d'autres — des "modernes" — ont repris sans le dire ni le chanter ce même slogan "Du passé faisons table rase", mais c'est maintenant du passé communiste que ceux-ci veulent se débarrasser ; néanmoins retrouver leurs racines pré révolutionnaires est impensable pour ces nouveaux "libéraux". Leur objectif est non seulement de se purifier des années communistes mais également de jeter avec dégoût aux poubelles de l'histoire ces traces honteuses de la prétendue âme slave avec ses racines rurales, et de son expression. Ils ont objectivement pour visée de parachever le travail de leurs aïeux (quoi qu'ils en aient ce sont leurs pères, ces communistes !) en occultant d'un voile le plus épais possible toute une part de leur patrimoine…
Cet état d'esprit se retrouverait-il un peu partout dans l'aire naguère communiste ?
Serait-ce cet esprit "moderne" qui serait la cause de l'arrêt (que l'on souhaite momentané) du très intéressant projet de Jacob Karhu, ce sympathique Breton ?
Cet étudiant brillant dont je poste la vidéo, demeure un jeune homme simple comme on voudrait en rencontrer souvent, bienveillant, sincère, amateur de nature et de vie simple, valorisant la beauté des paysages naturels heureusement préservés ainsi que les traditions architecturales rustiques bien fondées des pays qu'il visite. Ce serait triste que ce soient certains de ces bureaucrates modernistes qui aient fait obstacle à son passionnant projet. Ce serait triste que ces derniers (si c'est le cas) soient paralysés par la crainte que l'Europe occidentale "civilisée" les prenne — à l'occasion du reportage que ce jeune homme veut faire de son expérience — pour des "attardés" parce qu'ils ne voudraient à aucun prix se différencier en quoi que ce soit du standard culturel de l'Union Européenne libérale.
- Voici d'abord un extrait du texte incisif de Laurence Guillon, écrivain et traductrice :
"Ce passé qui me paraît plus vivant que mon présent imprègne la terre de Pereslavl, il est dans l'air, les nuages, l'eau du lac. Qu'est-ce que quatre siècles? Quatre vies de grands vieillards mises bout à bout. Et l'on faisait d'aussi jolies monnaies d'argent, elles circulaient ici de main en main. On construisait églises, monastères, palais féériques. L'esprit de la Russie était chrétien, païen, vivace, il produisait en permanence prières et chansons, vêtements nobles et magnifiques, architectures d'une fantastique originalité...Je me suis prise de bec sur un fil de commentaires avec des libéraux russes, profondément vexés que je place si haut la culture russe, dans ce qu'elle a de plus russe, son art populaire, les chants conservés par Skountsev et Micha, les épopées, la foi orthodoxe... Une espèce d'intellectuelle m'a prise de haut: elle m'a débité toute l'histoire de la culture européenne infiniment supérieure à la sienne, que l'Eglise maintenait dans les ténèbres de l'obscurantisme, en remontant jusqu'à Homère, et avec quelle morgue de vieux professeur confit dans la poussière des musées... Vraiment persuadée d'avoir affaire à une inculte qu'il fallait éclairer. Homère, je le savais par coeur à neuf ans, maman me l'avait offert dans la Pleïade pour mon anniversaire, mais qui chante encore Homère? Alors que certains de mes amis chantent les épopées russes, elles m'arrivent encore vivantes, et que me chaut qu'Homère leur soit antérieur? Skountsev et Homère s'entendraient très bien, un même souffle immémorial les porte, et ne porte pas du tout les intellos libéraux tombés de l'arbre de la vie sur les canapés des musées où ils moisissent et momifient les reliques de notre génie perdu. Justement, c'est parce que Vassiliev est en prise avec l'eau vive de la tradition orale qu'il a pu monter l’Iliade au théâtre de si magnifique façon.Il est toujours pour moi fascinant de constater que je fais beaucoup de peine à ces intellos russes lorsque je défends leur culture qu'ils méprisent. Ils deviennent très agressifs: non, non, nous sommes nuls de toute éternité, l'Europe est le mètre étalon de toute civilisation, et nous sommes des barbares, quel dommage que nous n'ayons pas été conquis par les Polonais, au fond, hein? Par les Allemands. Et maintenant, ce serait si bien de l'être par les Américains..."
(extrait de l'article "Monnaie d'argent"
écrit par Laurence sur son Blog Chroniques Pereslav
- Voici la vidéo de Jacob Karhu présentant son beau projet en Roumanie et … sa déception de ne pouvoir le réaliser :
Commentaires