ANTIPRESSE n°92 : Un excellent article de Slobodan Despot


SOUMISSION À LA GENEVOISE


La Rome du protestantisme est-elle en passe d’illustrer la prophétie de Michel Houellebecq sur la sujétion des milieux académiques à l’islam?

Calvin présidant un colloque à Genève en 1549

C’est le magazine Réformés (n° 9, septembre 2017) qui nous en fait le récit le plus idyllique: dès cet automne, l’Université de Genève propose une «formation continue destinée aux imams». L’article, rédigé dans une belle langue de bois anesthésique, précise que l’initiative répond à une sollicitation de la communauté albanophone locale, nous promet «une approche historico-critique de l’islam», et sous-entend, comme il se doit, qu’elle représente une garantie de modération et de respect des «valeurs démocratiques».

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Pour autant qu’on ne se pose pas de questions. Et c’est justement ce que l’article nous dissuade de faire: poser des questions. Avaler la pilule, la faire avaler plus loin et ne se préoccuper de rien.

Confiance ou complaisance?

En tout premier lieu, l’article omet de rappeler ce fait essentiel que la formation des imams en Europe n’est pas une idée neuve, ni une locale, ni une initiative venant «de chez nous», mais un vieux projet des Frères Musulmans, le courant incarné par Tariq Ramadan, notamment via le Conseil européen de la fatwa, qui depuis des décennies «encourage des initiatives de formation d’imams locaux».

Au contraire, pour bien nous endormir, on commence par faire parler des musulmans partisans d’un islam libéral — mais sans nous dire ce qu’est cet islam. Dans la région d’origine des pétitionnaires, c’est plutôt le radicalisme pro-Daech qui gagne du terrain, comme en témoigne le livre de Saïda Keller-Messahli.

N’importe: «Des rapports de confiance se sont établis», assure le délégué genevois à l’intégration. Aurait-on eu besoin de le préciser s’il s’était agi d’un partenariat avec des juifs, des bouddhistes ou des chrétiens orthodoxes?
Mais puisqu’on y est, on se dit que des rapports de méfiance seraient peut-être plus indiqués en pareille affaire, surtout à Genève. Souvenons-nous: les rapports de confiance n’allaient-ils pas de soi entre l’Etat de Genève et frère Hani (l’autre Ramadan) le jour où il fut engagé comme professeur du secondaire? N’est-ce pas justement à cause de cet excès de confiance que les bureaucrates se sont avisés si tardivement de l’incompatibilité entre son idéologie et son travail dans une école laïque? Quoi qu’il en soit, le fondamentaliste avocat de la lapidation des femmes se pourvut en justice et fit vivre à la cité de Calvin un coûteux et interminable cauchemar judiciaire avant d’être enfin limogé. Puis de revenir par la petite porte, après s’être fait expulser de France pour menaces à l’ordre public, afin d’expliquer aux bons Suisses les horreurs de l’islamophobie.

Vous vous croyez dans une pantalonnade à la Mr. Bean? Détrompez-vous! La jobardise des élites suisses est sans limite.

Avec un zeste de méfiance et de bon sens, Genève aurait pu s’épargner de verser un million d’indemnités diverses à cet obscurantiste retors et à ses œuvres. Lequel obscurantiste, accessoirement, officiait déjà comme imam à la mosquée des Eaux-Vives en violation flagrante du principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat…

Le recyclage d’un plagiaire

Mais rassurez-vous! C’est le «responsable académique du projet» qui vous l’ordonne. François Dermange, professeur d’éthique à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Genève, ne craint qu’une chose: sa propre population «qui a peur et connaît mal l’islam», car «du côté des musulmans, la voix qu’on entend le plus est celle d’un islam politique». La solution? «Si on ne veut pas laisser la parole uniquement à ces courants, il faut se donner les moyens de promouvoir d’autres voies».

Lesquelles, monsieur le Professeur? Pouvez-vous nous citer l’exemple d’une voie de l’islam acceptable par une majorité de musulmans qui ne soit pas politique? Qui ne réclame pas la soumission de la société à ses normes? Les wahhabites? Les Frères musulmans? En dehors de ces deux courants qui ont fait main basse sur l’islam en Suisse [1], voyez-vous un autre débouché professionnel possible pour vos imams? Peut-être chez les ahmadis de Zurich? Oups! Ils sont interdits de pèlerinage à la Mecque comme apostats, notamment parce que trop modérés.

Mais si nous avons peur, nous les ignares, c’est que nous ne comprenons pas bien le véritable islam, tant il a été occulté par le faux islam: «il est vrai aussi qu’historiquement les courants libéraux ont été balayés par des courants plus populaires». Les pauvres! Au moment même où ils allaient nous rassurer, voilà qu’ils se sont fait décapiter! Au fait, le wahhabisme est-il un courant «populaire», ou une construction de clercs d’émirs visant, justement, à tenir en laisse la population, M. le Professeur? A moins qu’on le confonde avec le salafisme des Frères, ce mouvement qui sous prétexte d’ouverture à la modernité prêche une régression sexiste, violente et autoritaire?

Voilà, de la part d’un professeur de l’Université, un résumé bien peu scientifique. Mais tout de même plus crédible que l’idée selon laquelle «à peu près toutes les sciences ainsi que la philosophie nous ont été transmises par l’islam».

Cette théorie fait l’objet de vifs débats dans la communauté des historiens, notamment depuis la publication de la thèse de Sylvain Gouguenheim. Or notre professeur d’éthique donne sa caution académique à un aveuglement délibéré du public en faveur de l’islam. Pour montrer une telle assurance, il faut tout de même effacer de l’histoire l’existence de l’Empire romain d’Orient jusqu’à la chute de Byzance en 1453, avec ses bibliothèques et ses savants et leurs relations continues avec les foyers de la Renaissance italienne.

On s’attendait à plus de loyauté de la part d’un théologien genevois à l’égard de sa propre culture. Mais pardon: «Notre rôle à l’université n’est pas du tout de plaider pour le christianisme». Un théologien qui plaiderait pour le christianisme? Du dernier ringard! Le bon peuple genevois qui finance cette faculté appréciera.

Nous voilà donc bien renseignés sur les connaissances et l’impartialité du responsable académique chargé par M. le conseiller d’Etat Maudet d’introduire la formation des imams dans une faculté jusqu’ici chrétienne. Ne nous manque plus qu’un tout petit détail que ni le journal Réformés ni les grands médias n’ont mentionné: c’est que M. le professeur Dermange est un plagiaire avéré, mais étrangement maintenu à son poste malgré le scandale et l’insurrection de ses assistants et étudiants après la découverte de son pillage de Paul Ricoeur. Une performance, de la part d’un professeur d’éthique! «Une maladresse de ma part», avait-il déclaré à l’époque, même pas capable de reconnaître ses dons de faussaire.

Autant dire que nous avons là le profil idéal pour le poste. «Un traître à notre goût», aurait dit John Le Carré. 

Perspectives d’avenir

Mais passons. Faisons confiance, puisqu’on ne nous laisse pas le choix. Installons-nous confortablement dans notre fauteuil et essayons d’imaginer comment la Faculté de théologie va faire pour former les cadres d’un islam «réformé» (puisqu’on est à Genève).

Va-t-elle leur imposer un code de conduite conforme à nos lois et coutumes démocratiques? Par exemple, leur faire prêter serment sur un décalogue de ce genre:

La loi divine à la loi humaine tu subordonneras.
L’égalité des sexes tu garantiras.
L’abjuration de l’islam tu autoriseras.
L’histoire de l’islam en historien tu étudieras.
Les mécréants à la géhenne point ne voueras.
Au nom de ta foi point ne tueras.
A César ce qui est à César tu rendras.
Aux infidèles point ne dissimuleras.
La lapidation tu prohiberas.
Au sacrifice animal tu renonceras.

Cela paraît totalement inimaginable? Ce sont pourtant des exigences minimales en société démocratique, et c’est bien là le hic! Si la puissante Eglise catholique a pu retirer de sa liturgie la damnation des juifs, pourquoi l’université de Genève ne pourrait-elle pas intégrer une semblable décence dans son programme?

Mais ne rêvons pas. Avec un féal aussi obséquieux et moralement compromis à la tête du projet, on imagine mal l’Université imposer une quelconque exigence extra-islamique à ses futurs imams. Ils pourront, s’ils en ont envie, promettre d’être sages, ou alors pratiquer une duplicité totale: dans tous les cas, la décision dépendra d’eux et d’eux seuls, et non de ceux qui auront payé leur formation.

Au fait: qui va la payer? Autorisera-t-on l’apport de capitaux privés, d’où qu’ils viennent, ou le contribuable suisse assumera-t-il seul les frais de laboratoire?

De plus: qui va les former? Des théologiens protestants ou des coreligionnaires? Eux-même formés par qui? Autorisera-t-on leur formation à distance (p. 48 du programme UNIGE)? On n’en sait encore rien, mais si oui, l’Etat de Genève paiera-t-il aussi la formation d’imams en terre d’islam?

On évoque l’interdisciplinarité: la Faculté prévoit-elle, par exemple, d’organiser des «ponts académiques» avec la chaire d’études de genre hébergée par la même université? Des séminaires interdisciplinaires entre la communauté LGBT et les futurs responsables religieux musulmans? Voire des stages croisés? Une lesbienne s’essayant au métier d’imam, un barbu découvrant son ambiguïté sexuelle? Ou encore mieux: des travaux pratiques avec des apostats de l’islam ayant proclamé leur athéisme ou leur conversion?

De magnifiques échanges en perspective. Mais qui évidemment n’auront jamais lieu. Selon toute vraisemblance, la belle initiative de la Faculté genevoise reviendra tout simplement à légitimer la subversion de l’ordre démocratique.

Le conseiller d’Etat Pierre Maudet, actuellement candidat au Conseil fédéral, qui a voulu ce programme et qui a mis à sa tête un universitaire compromis — et d’autant plus malléable —, a-t-il entièrement confiance dans le mécanisme qu’il a mis en marche? Si oui, quel bénéfice personnel en attend-t-il? Sinon, quelles parades a-t-il prévues si l’expérience devait tourner au vinaigre, notamment dans ses aspects sécuritaires dont il se préoccupe tant?

Quant à nos amis théologiens protestants, aussi surannés dans l’Europe du XXIe siècle que des professeurs de marxisme à la fin de l’URSS, on dirait qu’ils se cherchent de nouveaux dogmes. Ils ont commencé par se trouver de nouveaux maîtres.

On navigue ici entre le Monsieur Bonhomme de Max Frisch tendant aux incendiaires l’allumette qui mettra le feu (annoncé) à sa propre maison — et l’inoubliable marigot académique du Soumission de Houellebecq. A cette différence près que le ralliement des universitaires d’Houellebecq à l’islam suit la prise du pouvoir politique par les musulmans. Alors qu’à Genève, elle va à sa rencontre.

C’est donc ça, l’esprit d’ouverture!
NOTE
Voir à ce sujet l’enquête préoccupante de Mireille Vallette, Le radicalisme dans les mosquées suisses

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