DIVINISATION ou JUSTIFICATION ? "d'une planète à une autre" par André Borrely


"Toute une conception du christianisme qui n'a pas disparu et ne semble pas près de disparaître, ce dont le mouvement  œcuménique ferait bien de s'occuper."


Père André Borrely, est depuis des années préoccupé de  "contribuer, si modestement que ce fût, à redonner au mouvement  œcuménique le tonus spirituel qui présentement lui fait terriblement défaut"  autant que "d'annoncer la Bonne Nouvelle aux hommes du 21ème siècle d'une manière qui ne soit pas inacceptable pour eux, incompréhensible pour ne pas dire révoltante et méprisable, comme ce fut souvent le cas, hélas, dans le passé à cause de la caricature que firent trop souvent subir au christianisme les chrétiens les plus en vue." Il a fait paraître en février mars 2011 dans le numéro 135 de la Revue Orthodoxes à Marseille un article incontournable sur une des différences fondamentales qui séparent le christianisme occidental (catholicisme et protestantismes réunis) de l'Orthodoxie, je vous invite à en lire quelques extraits.

1. L'évêque de Meaux et celui de Ninive
[...] Il y a, dans l' oeuvre d'un homme comme Bossuet, telle page qui ne peut pas ne pas apparaître comme abominable aux yeux d'un agnostique ou d'un athée de notre temps. Dans son Sermon sur la Passion de Jésus-Christ, prêché le vendredi saint 26 mars 1660 dans l'église des Minimes, Bossuet montre jusqu'où peut aller une théologie du salut toute entière centrée sur les concepts de justice, de juste, de mérite, de justification, de punition, d'injure et qui ignore totalement l'idée de divinisation, le prédicateur préférant parler de la vengeance divine. Dans la peinture des souffrances de l'Homme-Dieu que ce sermon entend faire, J. Calvet, en 1930, appréciait la franchise de l'expression et un élément d'émotion et de beauté'. Nos contemporains — baptisés devenus agnostiques et athées et avec eux le chrétien que je m'efforce de devenir — ne peuvent voir dans un tel texte que l'expression d'un sadisme divin, expression qui fait de ce genre de littérature le plus puissant des émétiques' : Il n'appartient qu'à Dieu de venger ses propres injures; et tant que sa main ne s 'en mêle pas, les péchés ne sont punis que faiblement ; à lui seul appartient de faire, comme il faut, justice aux pécheurs; et lui seul a le bras assez puissant pour les traiter selon leur mérite. « A moi, à moi », dit-il, la vengeance : hé ! Je leur saurai bien rendre ce qui leur est dû ... Il fallait donc, mes frères, qu'il vînt lui-même contre son fils avec tous ses foudres, et puisqu'il avait mis en lui nos péchés, il y devait mettre aussi sa juste vengeance. Il l'a fait, Chrétiens, n'en doutons pas. C'est pourquoi le même prophète nous apprend que, non content de l'avoir livré à la volonté de ses ennemis, lui-même, voulant être de la partie, l'a rompu et froissé par les coups de sa main toute-puissante ... Jugez, Messieurs, où va ce supplice; ni les hommes ni les anges ne le peuvent jamais concevoir. 
Si maintenant quittant Bossuet, nous entreprenons de consulter un immense starets tel que saint Isaac le Syrien, nous passons véritablement d'une planète à. une autre. Et c'est là que l'on peut mesurer la profondeur abyssale, vertigineuse de l'erreur consistant à dévoyer l'œcuménisme en cherchant à en faire le moyen de parvenir à une union des  Églises qui ne réaliserait en rien l'unité de l'Église. Car enfin, ou bien c'est Bossuet qui témoigne de l'authenticité du christianisme, ou bien c'est l'Abbé Isaac. On ne peut pas ne pas convenir qu'il faut choisir. 
En effet on ne saurait imaginer un chrétien plus éloigné de Bossuet que l'Abbé Isaac (640-700) né dans l'actuel Qatar (dans le Golfe Persique). Ordonné évêque, il renonça, au bout de cinq mois seulement, à exercer ses fonctions épiscopales pour se retirer comme anachorète dans les montagnes. L'Abbé Isaac écrit : Il serait fort odieux et tout à fait blasphématoire de prétendre que la haine et le ressentiment existent chez Dieu, même envers les démons, ou de s'imaginer quelque autre faiblesse ou passion, ou tout ce qui serait impliqué dans l'idée de rémunération du bien ou du mal, sous la forme d'une rétribution, qui serait applicable à cette nature glorieuse... Ce n'est aucunement pour nous libérer des péchés, ou pour quelque autre motif ; que notre Seigneur est mort, mais uniquement afin que le monde ressente l'amour de Dieu pour sa création. Si cette admirable épopée' n'avait eu d'autre raison que la rémission de nos péchés, il aurait suffi d'un autre moyen pour la réaliser.... La miséricorde est opposée à la justice...l'usage que Dieu fait de sa justice ne fait pas le poids devant sa miséricorde... (l'Incarnation et la mort du Sauveur sur la croix eurent lieu) non pas pour nous racheter de nos péchés, ni pour aucune autre raison, mais uniquement afin que le monde se rendit compte de l'amour que Dieu porte à sa création ... L'amour de Dieu était ... l'unique motif de l'Incarnation du Verbe, et non pas la nécessité de racheter l'humanité du péché.*
Et je tiens à insister sur un point très important. Non seulement la recomposition de l'unité visible entre les chrétiens n'est envisageable que dans la direction indiquée par un starets de l'envergure spirituelle de l'Abbé Isaac, mais encore faut-il préciser que seule la manière dont ce dernier comprend la vie en Christ peut amener nos contemporains agnostiques ou athées à éprouver pour le christianisme du respect et non plus l'envie de le vomir. Certes, l'acte de foi ne peut être qu'un acte libre de la personne humaine."
*Hilarion Alfeyev. L'univers spirituel d'Isaac le Syrien Coll. Spiritualité orientale, n°76, 2001, pp. 46 ; 48-49. Isaac le Syrien. Œuvres spirituelles-II. 41 Discours récemment découverts. Coll. Spiritualité orientale, n°81, 2003,pp. 273-274.

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