À PROPOS D'ÉLECTIONS…
[…] Est-il besoin de dire que rien chez nous n’est laissé au hasard ? Rien d’inattendu ne peut survenir ; nous constituons un seul organisme aux millions de cellules et, pour parler la langue de l’« Évangile », nous formons une seule « Église ». L’histoire de l’État Unique ne connaît pas de cas où une seule voix se fût permis de détruire la grandiose unanimité de ce Jour.
On dit que les anciens pratiquaient le vote secret, en se cachant comme des voleurs. Certains de nos historiens affirment même qu’ils arrivaient soigneusement masqués aux urnes. Je m’imagine très bien ce sombre spectacle : la nuit, une place publique, des formes recouvertes de manteaux sombres se glissent le long des murs, la flamme pourpre des flambeaux danse au vent…
Pourquoi tout ce mystère ? nous n’en savons rien aujourd’hui. Il est probable que les élections étaient accompagnées de cérémonies mystiques et, peut-être même, criminelles. Nous n’avons rien à cacher, nous n’avons honte de rien, c’est pourquoi nous fêtons les élections loyalement et en plein jour. Je vois les autres voter pour le Bienfaiteur et ceux-ci me voient également. Pourrait-il en être autrement puisque « tous » et « moi » formons un seul « Nous » ? Cette procédure est beaucoup plus ennoblissante et plus sincère que celle en honneur chez les anciens, « secrète » et d’une couardise de bandits. De plus, elle est beaucoup beaucoup plus conforme à son but, car, en supposant l’impossible, si une dissonance se produisait dans l’homophonie habituelle, nous avons les Gardiens, invisibles parmi nous, qui peuvent arrêter les numéros tombés dans l’erreur, les préserver de faux pas futurs et sauver ainsi l’État Unique. […]
Nous Autres (мы)1920
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