"notre cœur s'est fait moins pénétrant : nous ne comprenons pas les paroles de Dieu…" par le starets Isidore

"[…] Isidore et l'évêque E. firent connaissance. 
« Jusqu’en 1904, racontait l’évêque E, je n’avais jamais eu l'occasion de voir le starets Isidore, même si j’avais beaucoup entendu parler de lui lorsque j’étais encore étudiant à l’Académie. Notre première rencontre eut lieu en mai 1904. Par une journée magnifique, j’étais descendu dans le jardin de l'Académie. Je rencontre un vieillard voûté, coiffé d’une scoufia, qui chemine en s’aidant d'un bâton. Il m’aborde en disant : 
— Batiouchka, êtes-vous Monseigneur? 
— C'est moi, que puis-je faire pour vous? 
— Je suis le père Isidore. 
— Très heureux de vous rencontrer. 
— Je viens pour une affaire : cette nuit, la Mère de Dieu est apparue et a dit : “Tu n'as pas encore pris la bénédiction du nouvel évêque?” Alors, je suis venu... » 

 Attentif aux choses d'En Haut, Batiouchka compre- nait les signes sans paroles du créé. Plus d'une fois il raconta, par exemple, comme dans l'église de son village natal, il avait vu une boule de feu enflammer tout l'iconostase. Cette boule de feu, Batiouchka la considérait comme une manifestation du divin. C'est après cela qu'il s'était retiré du monde. Et avec un léger sourire, le starets ne manquait jamais d'ajouter: « On dira peut- être que c'est venu comme cela, tout seul, mais je suis d'un autre avis... » 

 En effet. D'autres, comme les libres-penseurs (que mon lecteur qui aime Dieu ne soit pas induit en tentation par ceux-là!) diront, à la manière des savants, que c'était la foudre. Et alors? Est-ce que Dieu ne peut pas nous parler par la foudre? Dieu qui tient dans Ses mains toute la création nous parle par elle. Mais notre cœur s'est fait moins pénétrant : nous ne comprenons pas les paroles de Dieu. Le père lsidore, lui, regardait d'un cœur pur la création. Pour lui, dans la création, c'était la Parole de Dieu qui résonnait, et c'est pourquoi, pour le starets, le monde entier était plein de signes prodigieux et de mandements mystérieux. Pour lui, porteur de l'Esprit, une boule de feu était un prodige, tandis que l'âme complètement ancrée sur terre ne verra pas même dans la fin du monde une manifestation de Dieu. L'impie qui veut vivre sans Dieu est puni : les yeux de son cœur deviennent insensibles. Il ne voit plus et ne connaît plus Dieu. Il ne comprend pas les signes de Sa colère, et c'est pourquoi rien ne le pousse à regarder autour de lui et à se repentir : il vit comme en songe, mais il ne comprend pas cela et considère ses rêves comme des manifestations de la réalité. Ce n'est pas ainsi que vivait le starets, qui pratiquait la vigilance et la sobriété de l'âme. Il écoutait la création de Dieu et la création de Dieu l'écoutait. Des fils invisibles l'unissaient au cœur caché de la création. Non seulement le monde était un signe pour le starets Isidore, mais le starets lui-même était un signe pour le monde. Et effectivement, autour du starets se produisait ce qui ne se produisait pas autour des autres.[…]"

extrait de LE SEL DE LA TERRE ou La vie du Starets Isidore
 du Néomartyr du Bolchevisme 
P. Pavel FLORENSKY





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