Du FASCISME RÉEL en ITALIE par Pier Paolo Pasolini


"Je prédis l'époque où le nouveau pouvoir utilisera vos paroles libertaires pour créer un nouveau pouvoir homologué, pour créer une nouvelle inquisition, pour créer un nouveau conformisme. Et ses clercs seront clercs de gauche. ”

Pier Paolo Pasolini



« Je suis pro­fondé­ment con­va­incu que le vrai fas­cisme est ce que les soci­o­logues ont trop gen­ti­ment nommé “la société de con­som­ma­tion”, déf­i­ni­tion qui paraît inof­fen­sive et pure­ment indica­tive. Il n’en est rien. Si l’on observe bien la réal­ité, et surtout si l’on sait lire dans les objets, le paysage, l’urbanisme et surtout les hommes, on voit que les résul­tats de cette insou­ciante société de con­som­ma­tion sont eux-mêmes les résul­tats d’une dic­tature, d’un fas­cisme pur et sim­ple. Dans le film de Nal­dini, on voit que les jeunes étaient encadrés et en uni­forme… Mais il y a une dif­férence: en ce temps là, les jeunes, à peine enlevaient-ils leurs uni­formes et reprenaient-ils la route vers leurs pays et leurs champs, qu’ils rede­ve­naient les Ital­iens de cinquante ou de cent ans aupar­a­vant, comme avant le fascisme.

Le fas­cisme avait en réal­ité fait d’eux des guig­nols, des servi­teurs, peut-être en par­tie con­va­in­cus, mais il ne les avait pas vrai­ment atteints dans le fond de l’âme, dans leur façon d’être. En revanche, le nou­veau fas­cisme, la société de con­som­ma­tion, a pro­fondé­ment trans­formé les jeunes; elle les a touchés dans ce qu’ils ont d’intime, elle leur a donné d’autres sen­ti­ments, d’autres façons de penser, de vivre, d’autres mod­èles cul­turels. Il ne s’agit plus, comme à l’époque mus­solin­i­enne, d’un enrég­i­mente­ment super­fi­ciel, scéno­graphique, mais d’un enrég­i­mente­ment réel, qui a volé et changé leur âme. Ce qui sig­ni­fie, en défini­tive, que cette ” civil­i­sa­tion de con­som­ma­tion ” est une civil­i­sa­tion dic­ta­to­ri­ale. En somme, si le mot de “fas­cisme” sig­ni­fie vio­lence du pou­voir, la “société de con­som­ma­tion” a bien réal­isé le fascisme. […]

Pour moi, la véri­ta­ble intolérance est celle de la société de con­som­ma­tion, de la per­mis­siv­ité con­cédée d’en haut, qui est la vraie, la pire, la plus sournoise, la plus froide et impi­toy­able forme d’intolérance. Parce que c’est une intolérance masquée de tolérance. Parce qu’elle n’est pas vraie. Parce qu’elle est révo­ca­ble chaque fois que le pou­voir en sent le besoin. Parce que c’est le vrai fas­cisme d’où découle l’antifascisme : inutile, hyp­ocrite, et, au fond, appré­cié par le régime. »

Pier Paolo Pasolini, 

Ecrits cor­saires, 1974.

Commentaires