GRAND CARÊME Programme de 40 textes PATRISTIQUES - 9. St Martyr Justin le Philosophe 1ère Apologie 1-7
1. A l'empereur Titus Elius Adrien Antonin, Pieux, Auguste César; à
Verissime son fils, philosophe, et à Lucius, philosophe, fils de César par
la nature et de l'empereur par adoption ; au sacré sénat ; et à tout le peuple
romain; pour ces hommes de toute race, injustement haïs et persécutés,
moi, l'un d'eux, Justin, fils de Priscus, fils de Bacchius, de la nouvelle
Flavie en Syrie, Palestine, j'ai écrit et présenté la requête suivante.
2. C'est pour tous ceux qui sont réellement pieux et sages un devoir
commandé par la raison, de chérir et d'honorer exclusivement la vérité,
en renonçant à suivre les opinions anciennes si elles s'en écartent. Car
non seulement cette loi de la raison ordonne de fuir ceux qui font et
enseignent le mal, mais il faut encore que l'ami de la vérité s'attache, fût-
ce même au péril de sa vie et y trouvât-il danger de mort, à strictement
observer la justice dans ses paroles et dans ses actions. Or, vous tous qui
vous entendez partout appeler pieux et sages, gardiens de la justice et
amis de la science, il va être prouvé si vous l'êtes en effet. Car nous
n'avons pas composé cet écrit pour vous flatter ni pour gagner vos
bonnes grâces : nous venons pour vous demander d'être jugés d'après les
préceptes de la saine raison, et pour empêcher aussi qu'entraînés par la
prévention, par trop de condescendance aux superstitions des hommes,
par un mouvement irréfléchi, par de perfides rumeurs que le temps a
fortifiées, vous n'alliez porter une sentence contre vous-mêmes. Car tant
que l'on ne nous convaincra pas d'être des malfaiteurs et des méchants,
on ne pourra pas nous faire de mal. Vous, vous pouvez nous tuer, mais
nous nuire, jamais.
3. Et pour que ces paroles ne vous semblent ni téméraires ni
déraisonnables, nous vous supplions de rechercher les crimes dont on
nous accuse. S'ils sont prouvés, que l'on nous punisse comme cela est
juste: que l'on nous punisse même avec plus de sévérité. Mais aussi, si
vous ne trouvez rien à nous reprocher, la saine raison ne s'oppose-t-elle
pas à ce que, sur des bruits calomnieux, vous persécutiez des innocents,
ou plutôt à ce que vous ne vous fassiez tort à vous-mêmes, en suivant
moins les inspirations de l'équité que celles de la passion? Tout homme sensé conviendra que la plus belle garantie et la condition essentielle de
la justice est, d'une part, pour les sujets, la faculté de prouver l'innocence
de leurs paroles et de leurs actions, et, d'autre part, pour les gouvernants,
cette droiture qui leur fait rendre leurs sentences dans un esprit de piété
et de sagesse, et non pas de violence et de tyrannie. Alors souverains et
sujets jouissent d'un vrai bonheur. Car un ancien l'a dit: "Si les princes et
les peuples ne sont pas philosophes, il est impossible que les états soient
heureux." Ainsi donc c'est à nous d'exposer aux yeux de tous notre vie et
notre doctrine, pour qu'à tous ceux qui peuvent ignorer nos préceptes,
nous leur fassions connaître les châtiments que, sans s'en douter, ils
encourent par leur aveuglement: et c'est à vous de nous écouter avec
attention, comme la raison vous l'ordonne, et de nous juger ensuite avec
impartialité. Car, si en pleine connaissance de cause, vous ne nous
rendiez pas justice, quelle excuse vous resterait-il devant Dieu?
plus complète contradiction dans leurs idées et leurs doctrines, les
maîtres anciens ont tous été compris sous la dénomination unique de
philosophes. Quelques-uns d'entre eux ont enseigné l'athéisme. Dans
leurs chants, vos poètes célèbrent les incestes de Jupiter avec ses enfants.
Et à tous ceux qui donnent de pareilles leçons, vous ne leur fermez pas la
bouche: que dis-je? Pour prix de leurs pompeuses insultes, vous les
comblez d'honneurs et de récompenses!
4. Ce n'est pas sur le simple énoncé du nom et abstraction faite des
actions qui s'y rattachent que l'on peut discerner le bien ou le mal. Car, à
ne considérer que ce nom qui nous accuse, nous sommes irréprochables.
Mais, comme, au cas ou nous serions coupables, nous tiendrions pour
injuste de devoir à un nom seul notre absolution, de même, s'il est prouvé
que notre conduite n'est pas plus coupable que notre nom, votre devoir
est de faire tous vos efforts pour empêcher qu'en persécutant injustement
des innocents, vous ne fassiez affront à la justice. Le nom seul en effet ne
peut raisonnablement pas être un titre à la louange ou au blâme, s'il n'y a
d'ailleurs dans les actes rien de louable ou de criminel. Les accusés ordi-
naires qui paraissent devant vous, vous ne les frappez qu'après les avoir
convaincus: et nous, notre nom suffit pour nous condamner. Et pourtant,
à ne considérer que le nom, vous devriez bien plutôt sévir contre nos
accusateurs. Nous sommes chrétiens : voilà pourquoi l'on nous accuse : il
est pourtant injuste de persécuter la vertu. Que si quelqu'un de nous
vient à renier sa qualité et à dire : Non, je ne suis pas chrétien, vous le ren-
voyez comme n'ayant rien trouvé de coupable en lui: qu'il confesse, au
contraire, courageusement sa foi, cet aveu seul le fait traîner au supplice,
tandis qu'il faudrait examiner et la vie du confesseur et la vie du renégat,
et les juger chacun selon leurs oeuvres. Car, si ceux qui ont appris du
Christ leur maître à ne pas se parjurer donnent par leur fermeté dans les
interrogatoires le plus persuasif exemple et la plus puissante exhortation,
ceux-là aussi qui vivent dans l'iniquité fournissent peut-être un prétexte
à toutes les accusations d'impiété et d'injustice que l'on intente aux chré-
tiens; mais ce n'est certes pas là de l'équité. En effet, parmi tous ceux qui
se parent du nom et du manteau de philosophes, il en est beaucoup aussi
qui ne font rien de digne de ce titre, et vous n'ignorez pas que, malgré la
5. Pourquoi donc tant de haine contre nous? nous nous déclarons les
ennemis du mal et de toutes ces impiétés, et vous n'examinez pas notre
cause: loin de là, victimes de votre aveugle emportement, tournant sous
le fouet des génies du mal, vous vous inquiétez peu de nous punir au
mépris de toute justice. Or écoutez: car il faut que la vérité se fasse jour.
Quand autrefois les génies du mal eurent manifesté leur présence en
enseignant l'adultère aux femmes, la corruption aux enfants, et en frap-
pant les hommes d'épouvante; alors, sous le coup de cette immense ter-
reur, le monde entier, abdiquant les conseils de la raison, cédant à l'effroi,
et aussi ignorant la pernicieuse méchanceté de ces démons, le monde en
fit des dieux et les révéra sous le nom qu'ils s'étaient eux-mêmes choisi.
Et si, dans la suite, Socrate, avec la puissance et la droiture de sa raison,
tenta de dévoiler ces choses et d'arracher les hommes au joug des
démons, ceux-ci mirent aussitôt en oeuvre la malignité de leurs adora-
teurs, et Socrate, accusé d'enseigner le culte de génies nouveaux, fut con-
damné à mort comme impie et comme athée. Même conduite envers
nous. Car ce n'est pas seulement au milieu des Grecs que le Verbe a fait,
par l'organe de Socrate, de semblables révélations ; il a parlé au milieu des
barbares; mais alors il était incarné: il s'était fait homme et s'appelait
Jésus-Christ. Et nous, qui avons mis notre foi dans ce Verbe, nous disons
que tous ces démons-là, loin d'être bienfaisants, ne sont que de perfides
et de détestables génies, puisqu'ils agissent comme ne ferait pas un
homme quelque peu jaloux de pratiquer la vertu.
6. De là vient qu'on nous appelle athées. Athées; oui certes, nous le
sommes devant de pareils dieux, mais non pas devant le Dieu de vérité,
le père de toute justice, de toute pureté, de toute vertu, l'être de perfection
infinie. Voici le Dieu que nous adorons, et avec lui son fils qu'il a envoyé
et qui nous a instruits, et enfin l'esprit prophétique; après eux, l'armée
des bons anges, ses satellites et ses compagnons reçoivent nos hom-
mages. Devant eux nous nous prosternons avec une vraie et juste vénéra-
tion. Voilà ce culte tel que nous l'avons appris et tel que nous sommes
heureux de le transmettre à tous ceux qui sont désireux de s'instruire.
7. On nous dira peut-être: Des chrétiens arrêtés ont été convaincus de
crime. Ne vous arrive-t-il pas sans cesse, quand vous avez examiné la conduite d'un accusé, de le condamner? Mais, si vous le condamnez, est-
ce parce que d'autres ont été convaincus avant lui? Nous le reconnaissons
sans peine, en Grèce la dénomination unique de philosophes s'est éten-
due à tous ceux qui ont été les bienvenus à y exposer leurs doctrines,
toutes contradictoires qu'elles pussent être; de même, parmi les barbares
une qualification accusatrice s'est attachée à tous ceux qui se sont mis à
pratiquer et à enseigner la sagesse: on les a tous appelés chrétiens. C'est
pour cela que nous vous supplions d'examiner les accusations dont on
nous accable, afin que, si vous rencontrez un coupable, il soit puni
comme coupable et non pas comme chrétien; mais que, si vous trouvez
un innocent, il soit absous comme chrétien et comme innocent. Alors,
croyez-le bien, nous ne vous demanderons pas de sévir contre nos
accusateurs; ils sont assez punis par la conscience de leur perfidie et par
leur ignorance de la vérité.
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