Lettre d'un prêtre orthodoxe à un électeur français


Aux urnes citoyens !
"Dans son Commentaire de la première épitre de saint Jean, saint Augustin est l'auteur d'une bien belle formule devenue à juste titre célèbre : Dilige et quod vis fac, aime et fais ce que tu veux. (Sources chrétiennes, n°75, Bd. du Cerf, Paris, 1961, p. 328). Nombreux sont ceux qui ont mal compris cette phrase de l'évêque d'Hippone en l'entendant en un sens laxiste.
Augustin veut dire que la liberté véritable ne consiste pas à suivre ses caprices et ses instincts, la belle liberté celle qui consiste à ne pas voir, parce qu'elles sont dorées, les chaînes qu'on enroule autour de soi ! La vraie liberté consiste à être délivré par l'acquisition du saint Esprit de la tyrannie des passions et à ne connaitre d'autre hétéronomie que celle que nous recevons de Dieu. 

Lectrice, lecteur, ma sœur, mon frère, si en entrant dans l'isoloir, tu penses comme moi que la séparation de l'Église et de l'État est une conquête de l'humanité qui honore celle-ci au même titre que l'abolition du servage, de l'esclavage et de la peine de mort, mais qu'elle ne saurait signifier la séparation de la raison et de la foi, de la science et de la sagesse, de la connaissance et de l'amour, de l'humain et du divin; si tu partages ma conviction que la démocratie est le régime politique le plus honorable dans la mesure où, par le moyen du pluralisme et de la laïcité il se fonde sur le respect de la part de divin qui est en nous, c'est-à-dire de notre liberté même si celle-ci fait tragiquement le choix de se perdre et de refuser la Vie, la vraie, celle sans laquelle nous nous contentons de vivoter à petit feu, en attendant la mort inéluctable, que l'on soit noir ou blanc, athlète ou tétraplégique, trisomique ou Prix Nobel, que l'on croit au ciel ou que l'on n'y croit pas; si comme moi tu penses qu'un chrétien ne saurait absolutiser l'engagement politique – en étant candidat, militant ou électeur  –  au point d'oublier que nous sommes ici-bas des voyageurs, des pèlerins cheminant vers le Royaume ; si, comme moi, tu es d'avis que, dans la situation d'éclatement, de fragmentation où se trouve désormais le Christianisme, et sans doute pour très longtemps, peut-être pour des siècles et des siècles, les Orthodoxes sont en mesure d'offrir pour le partage œcuménique avec leurs frères d'Occident, un mode d'existence caractérisé par le double refus de la morale juridique et de l'éthique individuelle ; et surtout, si entrant dans l'isoloir, tu évoques la douce mémoire de l'Higoumène Missael, et si tu te laisses envahir par la joie de contempler en rendant grâce la convergence trop rarement remarquée entre le respect infini de la liberté de tout homme qui comblait le cœur du P. Missael, et l'idéal démocratique et laïque de n'asséner aucune vérité a une conscience qui refuse de l'accueillir, si tu penses vraiment cela, je paraphraserai saint Augustin pour te dire en te quittant: «Va et vote pour qui tu veux » !"
Père André Borrely
(in Conclusion de "Aux urnes citoyens" supplément au n° 141 de la revue "Orthodoxes à  Marseille")

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